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Un éleveur caprins dans l’étau médiatique

Coutumière des opérations de communication “coup de poing” mettant en cause l’élevage, l’association L 214 a concentré ses attaques sur un élevage de 2 000 chèvres en Saône-et-Loire. Retour sur cette crise médiatique qui aurait pu porter préjudice à l’ensemble de la filière caprine française. 

Qui est la cible des attaques de L214 ?

Le 26 octobre dernier, l’élevage de la SCEA de la Baratte codirigé par Thierry Chevenet, 59 ans, a été la cible des attaques de L214. Installé à Saint-Maurice-de-Satonnay en Saône-et-Loire, ce dernier élève plus de 2 000 chèvres. Fils, petit-fils et arrière-petit-fils d’éleveur, celui-ci est installé depuis plus de trente ans et travaille avec sa femme. Il dirige également une fromagerie produisant près de 250 tonnes de fromages par an. Cette PME, d’une cinquantaine de salariés, transforme le lait des chèvres de la SCEA de la Baratte, ainsi que celui d’une vingtaine de producteurs fermiers de la région. Certains d’entre eux fournissent des fromages non affinés à la fromagerie Chevenet. Deux fromages de Thierry Chevenet bénéficient d’un signe de qualité (AOP Mâconnais et AOP Charolais) et figurent à la carte de restaurants étoilés, comme L’Auberge de Paul Bocuse à Collonges-au-Mont-d’Or. Parallèlement, d’autres fromages de la SCEA de la Baratte sont référencés en grande distribution. Au total, 50 % de la production de la fromagerie Chevenet est commercialisée dans les rayons frais des supermarchés Carrefour, Monoprix, Auchan, U, Grand Frais. 40 % est écoulée dans les crémeries, les restaurants de prestige, par l’intermédiaire de distributeurs professionnels (comme Metro, Transgourmet) ou au marché international de Rungis. Et environ 8 % est exportée (de la Scandinavie au Japon). La Fromagerie Chevenet a développé plusieurs marques commerciales dont Grandjean, Le Chevrier des Crays et Chevenet.

Thierry Chevenet confiait, dans une interview publiée en 2018 dans la presse quotidienne : « Nos fromages sont consommés lors de repas au palais présidentiel de l’Élysée ou dans les ministères, ainsi que lors d’événements de prestige, comme le tournoi de Roland-Garros ou le Festival de Cannes. »

Que reproche L214 à l’élevage et que répond l’éleveur ? 

« Loin de l’image d’Épinal de la production de fromage de chèvre, cet élevage enferme environ 2 000 chèvres ayant pour seul accès extérieur une cour bétonnée. Elles n’ont jamais l’occasion de paître : c’est un élevage sans accès au pâturage », dénonce L214 dans un communiqué de presse. L’association reproche également le désaisonnement des chèvres par procédé artificiel avec une mise bas sur deux périodes (août et janvier). « Les chèvres qui rencontrent des difficultés à la mise bas sont envoyées à l’abattoir », ajoute l’association. « Les nouveau-nés sont retirés à leur mère dès la naissance : les chevreaux sont vendus à l’engraissement tandis que la majorité des chevrettes sont nourries avec du lait en poudre le temps de grandir pour renouveler le cheptel. Les autres seront vendues à l’étranger ».

Selon l’association de défense des animaux, des dizaines de chevreaux meurent chaque jour et les corps sont entassés à l’extérieur. L214 reproche également l’utilisation d’un chien électrique dans le parc d’attente de la salle de traite. L’éleveur rappelle que ce dispositif n’est pas utilisé systématiquement. 

Dans une vidéo de réponse, Thierry Chevenet rappelle que, depuis 25 ans, il a fait le choix « de l’agriculture traditionnelle. Nous n’écornons pas les chèvres. Notre cheptel est nourri à partir de l’herbe produite sur nos pâtures conduites en bio. Nous limitons l’usage des antiparasitaires et des antibiotiques. Nous avons également choisi de ne pas utiliser d’hormones pour le désaisonnement des chèvres. Les chèvres ont accès libre à l’extérieur de jour comme de nuit. Chaque chèvre possède au minimum 1,5 m2 en extérieur et en intérieur, conformément au cahier des charges que nous respectons. »
Concernant les images de cadavres de chevreaux, Thierry Chevenet explique : « Lors des fortes chaleurs de cet été, nous avons connu une mortalité importante au sein de notre cheptel. Malheureusement, et malgré nos précautions, les épisodes de canicule peuvent être fatals, pour les animaux comme pour les hommes. Chaque été, nous embauchons une dizaine de personnes chargées de veiller à l’hydratation des animaux. Nous ne pouvons pas traiter sur notre exploitation les corps des animaux, conformément à la législation française. Nous dépendons d’une entreprise d’équarrissage qui est chargée de les récupérer. Les délais peuvent varier et ce, surtout en été, période de vacances avec également un grand nombre de jours fériés.» 

Qui est à l’origine des images et photos ?

Ce sont deux salariés, restés “courageusement” anonymes, qui auraient travaillé cet été dans l’élevage de l’entreprise Chevenet, qui auraient contacté l’association L214 pour témoigner. « Je m’attendais à un élevage de chèvres mais je ne m’attendais pas à un élevage intensif comme ça, rapporte l’un deux. Je pensais qu’on allait travailler avec des chevreaux, qu’il y allait certes avoir quelques morts parce que la nature c’est comme ça. Mais, je ne pensais pas qu’on allait voir des chèvres et des chevreaux morts laissés en plein milieu des autres, pendant des journées entières. Je ne pensais pas à un élevage intensif avec autant de maltraitance. Je pensais qu’il y avait plus de respect de l’animal, quand même. »

« Ça sentait la mort partout. Les animaux morts sont placés derrière l’élevage, déposés à même le sol. Le lendemain, quand on revenait, il y avait le même tas de chèvres qui commençaient à pourrir, avec de nouveaux animaux morts déposés entre-temps.  » « Je ne pensais pas que ce serait aussi horrible. Je ne pensais pas que j’allais vivre un jour ce genre de choses . Eh bien si. Et en fait, il y en a plus que ce qu’on croit. Et il faut en parler parce que ça ne doit pas rester caché. »

De son côté, Thierry Chevenet explique : « L’été nous embauchons une dizaine de personnes. À cette occasion, des militants se sont fait embaucher, à notre insu, en tant que saisonniers. Pendant les quelques jours où ils sont restés, des images et des vidéos ont été tournées. Des caméras ont été installées pendant plusieurs semaines en absence totale de notre accord et sans aucun respect du droit à l’image de nos collaborateurs. C’est grâce à cette intrusion, pratique habituelle de L214, que ces images ont pu être manipulées par une mise en scène qui ne reflète pas la réalité.»

Quelles sont les suites de l’affaire ?

L214 dit avoir déposé une plainte contre l’élevage pour mauvais traitement et pour pratiques commerciales trompeuses auprès du tribunal de Mâcon. L’association aurait aussi interpellé les services vétérinaires (DDPP) et la direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF) de la préfecture de Saône-et-Loire. 

Quant aux enseignes Carrefour, Monoprix, Auchan, Système U et Grand Frais, elles ont annoncé qu’elles suspendaient les approvisionnements des produits concernés. « Carrefour suspend immédiatement les approvisionnements de l’ensemble des produits issus de ce fournisseur et utilise sa procédure de retrait/rappel produits pour retirer dès aujourd’hui de ses rayons l’ensemble des fromages issus de ce fournisseur. En parallèle de l’enquête lancée par les autorités administratives, Carrefour lance sa propre procédure d’enquête interne et décidera à l’issue le cas échéant de résilier totalement ce fournisseur et de porter plainte », a réagi le groupe Carrefour dans un communiqué de presse. 

Le groupe Système U fait un constat identique :  « Après étude des éléments de l’entreprise Chevenet, nous avons fait le choix de retirer de la commercialisation les références de ce fournisseur et de soulever temporairement les approvisionnements dans l’attente d’éléments complémentaires. »

« Nous sommes contrôlés régulièrement par les autorités sanitaires, répond sereinement l’éleveur. Nous sommes également audités par l’organisme certificateur de l’AOP et par nos clients. Le dernier audit, daté du 12 octobre, n’a pas signalé de manquements majeurs.»

ERWAN LE DUC

 

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