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La conversion à l’agriculture bio fait peur

La résilience des élevages laitiers bio est avérée. Mais beaucoup de jeunes restent sceptiques.

Le projet de recherche Résilait (Résilience des systèmes laitiers biologiques), conduit de 2015 à 2020, s’est achevé par une journée de restitution des résultats, le 19 novembre 2020 en visioconférence. Si « la filière laitière bio semble avoir de beaux jours devant elle », le besoin de références techniques et économiques est patent, « surtout en ovins et caprins », a conclu Nathalie Masbou, éleveuse caprine bio dans le Lot et administratrice de l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab).

La filière caprine bio se distingue par une surreprésentation des « petits et très petits opérateurs » au stade de la transformation, constate Benoît Baron (Institut de l’élevage). C’est la même chose au niveau de la production, avec un cheptel moyen de 70 chèvres (175 à 180 chèvres en conventionnel si l’on ne retient que les troupeaux de plus de 25 chèvres), une dispersion des élevages sur l’ensemble du territoire beaucoup plus marquée qu’en conventionnel, en lien avec une très forte proportion (90 %) de producteurs « essentiellement fermiers »(1).

Trouver des livreurs

Autre constat : un « recrutement difficile » de nouveaux livreurs en bio, que Benoît Baron explique par un prix du lait conventionnel « assez incitatif » et par un « manque de références et des freins techniques, par exemple au niveau de la gestion parasitaire dans les grands troupeaux. » Au-delà, « beaucoup de porteurs de projets veulent aller au bout du produit et ne sont pas intéressés à devenir livreurs ». Le besoin de lait bio est tel que « certains transformateurs – Ingredia, Agrial, Triballat – proposent à des producteurs de lait de vache de passer en chèvre. » Reste l’importation, en provenance notamment des Pays-Bas, qui disposent de « structures assez grandes en livreurs, que l’on ne retrouve pas en France ». Des Pays-Bas qui produisent quasiment trois fois plus de lait de chèvre bio que la France : 33 millions de litres contre 13 millions en 2019.

« La conversion fait peur », constate David Roy (Agrobio 35), qui a interrogé 262 élèves de l’enseignement agricole (69 % d’enfants d’agriculteurs) sur les implications de la reprise d’une ferme laitière bio. Ils invoquent, en positif, la « meilleure valorisation des produits » et les « meilleurs résultats économiques ». En négatif, ce sont les « contraintes » des cahiers des charges, le besoin de connaissances techniques particulières, la baisse de la productivité et le coût accru des intrants qui ressortent en premier. Au final, « 75 % n’envisagent pas de s’installer en bio, par manque de conviction ou par crainte d’un affaissement de la demande en bio », résume en substance David Roy. Pour rassurer ces jeunes, il avance trois propositions : « sécuriser les connaissances techniques sur la bio (certains professeurs s’autocensurent de peur d’aborder des questions clivantes avec leurs élèves voire leurs parents) ; produire des références économiques dans certaines filières, notamment en caprin ; rendre visibles les besoins des marchés bio et la structuration des filières » afin de conjurer la croyance selon laquelle « il y aura trop de lait en bio ».  

Plus d’herbe

Une enquête, conduite auprès de 151 élevages laitiers convertis à la bio, traduit la sérénité de la majorité d’entre eux. « Passer en bio a permis d’améliorer le prix du lait, de maîtriser les charges, d’améliorer la santé du troupeau et d’accroître la satisfaction au travail », témoigne Augustine Perrin (Inrae). La satisfaction est d’autant plus forte que la conversion est ancienne (plus de vingt ans). Pour autant, 8 vidéos, réalisées dans le cadre de Résilait (à visionner sur le site de l’Itab) chez des producteurs de lait de vache convertis à partir de 2016, montre des éleveurs très positifs, comme ces deux éleveurs de l’Aveyron : « les prix sont plus stables, les écoles viennent nous voir, les clients demandent à acheter en vente directe, nous n’avons jamais eu autant d’échanges ou de formations… ».

Chez les producteurs de lait de vache, la place plus importante accordée à l’herbe (au détriment du maïs dans le cas général) est particulièrement appréciée comme réponse au désir d’autonomie fourragère. Chez les éleveurs caprins, c’est plutôt l’augmentation de la productivité individuelle des animaux qui est recherchée. Les autres recettes du succès en bio : « la diversification pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », « être curieux et observateur », « être réactif et opportuniste », « savoir anticiper les risques », étant entendu que « le risque le plus redouté en bovin et ovin reste le risque climatique ». Pouvoir y faire face s’impose comme une condition essentielle de la résilience, entendue comme la capacité de rebond après un aléa (sanitaire, économique, humain, réglementaire…). En élevage laitier bio, quatre objectifs principaux doivent être poursuivis, considère Augustine Perrin : la sécurité fourragère, l’autonomie de décision, l’autonomie financière, la transmissibilité de l’exploitation. La région d’implantation de l’élevage n’apparaît pas comme un facteur explicatif. Pas plus que le choix de la race, ajoute Jérôme Pavie (Institut de l’élevage).

Benoît Contour

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